Comment promouvoir la santé des citadins?

Quel lien observez-vous entre urbanité et santé mentale ?
Une série de travaux démontre une corrélation importante entre la ville et la santé psychique. On estime que vivre en ville multiplie par deux le risque de développer un épisode psychotique au cours de sa vie. D’autres recherches démontrent, elles, que 30 % des facteurs expliquant le développement de symptômes psychotiques sont liés à l’environnement urbain. On sait aussi que le fait de grandir en ville accroît le risque de psychose, et en particulier de schizophrénie.
À quoi est-ce dû ?
Il est impossible d’isoler un seul élément de réponse. On est confronté à une pluralité de facteurs, interagissant les uns avec les autres, et de causalités non linéaires. Pour mieux cerner le phénomène, l’équipe de recherche que je dirige avec mon collègue Philippe Conus au CHUV a mené une analyse in situ. Nous avons suivi, à l’aide de micros et de caméras, des patientes et des patients participant à un programme de détection et de traitement précoce de la psychose pendant leurs trajets en ville. Il a ainsi été possible d’enregistrer leur évolution dans les rues, y compris leurs choix de parcours ou leurs mouvements de recul, et de les analyser avec eux lors d’entretiens d’autoconfrontation. Un questionnaire mené auprès d’une centaine de jeunes est venu consolider ces observations.
Quels résultats avez-vous obtenus ?
Nous avons identifié trois principaux facteurs impactant la santé psychique. Les facteurs interactionnels sont les plus décisifs. Le fait d’avoir à gérer des interactions avec autrui et de ne pas pouvoir les choisir est générateur de stress. En société, on doit performer, présenter une face qui soit acceptable. Aussi, l’environnement urbain est sensoriellement riche et complexe. Vision, odorat, ouïe : les sens y sont en alerte. Cette surcharge sensorielle peut mener à un point de rupture. Et, finalement, l’environnement matériel joue également un rôle. Certains espaces sont plus ou moins agréables, protecteurs ou sources de stress. Le fait de ne pas pouvoir gérer de manière autonome son parcours est dérangeant. C’est ce qui se passe lorsqu’on ne peut pas respecter son propre rythme, en raison d’une population trop dense, ou que l’on est confronté à des gens que l’on n’aimerait pas rencontrer, par exemple.
Maintenant que vous avez pu identifier ces facteurs, qu’allez-vous faire ?
L’étape suivante, c’est celle des solutions. Car l’espace urbain n’est pas un espace à éviter. C’est un terrain plein de ressources, ne serait-ce qu’en termes de liens sociaux ou d’activités professionnelles. Le défi consiste maintenant à trouver la meilleure manière de gérer cet espace urbain à la fois comme facteur de stress et lieu de ressources.
Vous travaillez sur un projet pilote à Lausanne. En quoi consiste-t-il ?
Avec notre équipe, nous allons commencer par cartographier les lieux de stress et de bien-être dans la ville de Lausanne avec des pairs praticiens, ainsi qu’avec des patientes et des patients. Nous définirons ensuite un quartier dans lequel nous mènerons un projet pilote, agissant à la fois sur l’environnement social et l’environnement physique. Concrètement, cela pourrait prendre la forme d’une sensibilisation des habitantes et des habitants du quartier à la question de la santé mentale, ou à de nouveaux aménagements de l’espace. Il s’agira d’une phase de test et d’expérimentation, dans une approche participative. S’ensuivra une analyse, durant laquelle nous évaluerons le caractère reproductible du projet et sa viabilité dans la durée. L’objectif étant, à terme, de développer un plan à l’échelle de la commune pour en faire un modèle à déployer dans d’autres villes. C’est une démarche très novatrice pour la Suisse, et passablement aussi du point de vue international. Très peu de projets se font dans ce registre-là.
Des initiatives poursuivant des buts similaires ont éclos ces dernières années dans différentes villes, dans le cadre du réseau « Thrive ». Comment les percevez-vous ?
C’est très positif. Il n’y a en revanche pas de recette universelle ; chaque ville ayant adopté l’initiative Thrive l’a fait de manière très différente. L’une des mesures mises en place à Londres m’a particulièrement plu en raison de sa simplicité. Certains bancs publics ont été habillés d’une plaquette indiquant qu’il s’agissait de bancs sur lesquels on encourage une interaction entre les personnes qui vivent avec un diagnostic de dépression et les autres usagers. Ces bancs promouvant la discussion permettent de sortir de l’isolement, une question centrale dans ce type de troubles.
Le bistrotier, qu’attendez-vous de lui ?
Les cafés sont des lieux importants. On pense souvent que ce sont les rapports étroits qui génèrent du lien social. En réalité, ce qui prime, c’est la possibilité de choix du lien. Les liens faibles, ce sont ces petites conversations, ces petites attentions aux airs anodins. Il s’agit de relations précieuses pour les personnes se trouvant en phase de rétablissement. Et cela se passe dans les cafés, notamment. Dans ces lieux où l’on ne s’impatiente pas parce qu’un client met du temps à préparer sa monnaie et où l’on ne trouve pas bizarre qu’une cliente ait un comportement atypique. Cet accueil et cette compréhension de la diversité revêtent une grande importance pour les personnes qui souffrent de ce type d’affections.
Que souhaitez-vous pour les villes de demain ?
J’aimerais que les municipalités soient plus impliquées dans la question de la santé mentale, tout comme leurs habitantes et leurs habitants. Il faut en faire un sujet qui concerne tout le monde, et sortir de l’ignorance. La santé psychique relève de la responsabilité des cantons en Suisse, comme la santé publique en général. Il est nécessaire d’avoir un plan à l’échelle communale.
Qu’est-ce que cela apporterait selon vous ?
Dans les communes, on est beaucoup plus proche des gens et du terrain. À l’échelle communale, on peut concevoir l’aménagement des espaces publics. On peut mettre sur pied une stratégie de sensibilisation des acteurs urbains, qu’il s’agisse des institutions culturelles comme les musées, des restaurants ou des résidentes et des résidents. N’oublions pas qu’un environnement qui sera favorable à une personne qui vit avec un diagnostic de schizophrénie, de trouble bipolaire ou de dépression le sera aussi à tout un chacun. La sensibilité des personnes ayant une psychose à des éléments stressants est la même que celle de n’importe quel individu, mais à un degré différent. Elles ont des capteurs plus sensibles que le reste de la population, car elles ont moins de couches protectrices. Des mesures prises en ce sens permettraient d’améliorer la qualité de vie urbaine, pour toutes et tous.
L'intervnant
Ola Söderström est professeur de géographie sociale et culturelle à l’Université de Neuchâtel. Il observe les villes en mouvement depuis 25 ans.
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