Le blog de Psychoscope – Le rôle de mère de détenu

Françoise Genillod-Villard
Psychoscope - Le blog
Fédération
Les mères de prisonniers développent des stratégies pour assurer le bien-être de leurs enfants au détriment de leurs propres besoins.
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Françoise Genillod-Villard
Psychologue spécialiste en psychologie légale FSP
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Les discours modernes sur la parentalité insistent sur le rôle de la socialisation et du développement normatif de l’enfant. Cela va sans dire que la pression sociale est très forte et juge, de facto, les enfants comme les parents qui ne rentrent pas dans ce cadre normatif. La parentalité est montrée du doigt lorsque l’enfant présente des comportements socialement indésirables. Une recherche empirique exploratoire, réalisée à l’aide d’entretiens semi directifs en 2016-2017 au Canada auprès de 16 proches de détenus, dont 9 mères, a comme objectif de mieux comprendre certaines représentations et pratiques de maternité vis-à-vis d’un enfant adulte incarcéré. Il en ressort deux constats.

Le premier concerne un changement dans le rôle de mère, modelé par le contexte d’incarcération. Un rôle où la mère est en préoccupation constante quant au bien-être mental et émotionnel de son enfant adulte, ainsi que pour sa sécurité. Un rôle où le deuil de la vie qu’elles auraient voulu pour leur enfant doit se faire. Ces mères anticipent les obstacles qui auront lieu à la sortie de la prison et mettent en place différentes stratégies pour ce faire (économiser, prévoir un logement, etc.). Elles apportent un soutien émotionnel à leur enfant. Ce soutien peut également prendre la forme de démarches administratives, d’appui financier pour les besoins en interne dans la prison, d’aide avec les petits-enfants.
Ce nouveau rôle de mère de détenu est rythmé par les besoins de l’enfant incarcéré au détriment de ses propres besoins. Vouloir agir comme «une bonne mère» malgré tout implique des conséquences non négligeables en termes de temps, d’énergie et de charges financières ce qui n’est pas sans conséquences sur leur propre bien-être, tant sur le plan personnel que professionnel. 

La confrontation aux jugements
Le deuxième constat est la confrontation aux jugements. Ce jugement est tout d’abord personnel, sur sa propre qualité et compétence de mère, entrainant culpabilité, colère et pouvant mener jusqu’à se sentir responsable de l’acte de l’enfant. Consacrer beaucoup de temps à l’enfant incarcéré, peut par ailleurs bouleverser la famille nucléaire: moins de temps pour les autres enfants qui sont restés à la maison, et moins de temps pour la vie de couple. Puis vient le jugement de la société. Souvent, par crainte d’être jugées, les mères ne disent rien. Parmi celles qui se confient, certaines reçoivent du soutien de leurs proches et de leurs amis, d’autres reçoivent des remarques ou des conseils qu’elles n’ont pas demandé. Certaines mères font face à des attitudes d’évitement et de distanciation de la part d’autrui. Ces attitudes peuvent les mener à se distancer de leur enfant incarcéré. Une sévérité de jugement qui ne concernerait pas uniquement l’entourage, mais également un public plus large: les professionnels du milieu carcéral comme le grand public à travers les médias qui contribuent à alimenter une image négative de la mère «immorale et incompétente».

Au détriment de leurs propres besoins
Ces mères développent donc des stratégies pour assurer le bien-être de leurs enfants au détriment de leurs propres besoins. Certaines ont évoqué des problèmes de santé psychique et physique (stress, angoisses, troubles du sommeil, consommation de substances). Ces stratégies ne sont pas propres aux mères de détenus, elles ont été vues également chez les mères dans d’autres contexte (handicaps, maladies, trouble de la santé mentale). Toutefois, il y a une différence dans ce cas-là. En effet, pour les enfants atypiques, les difficultés/actes sont considérés par la société comme faisant partie du trouble, alors qu’un détenu qui a commis un acte repréhensible est vu comme ayant fait un choix délibéré. Ce rôle de «bonne mère» n’est donc plus valorisé et peut être même découragé. Les mères se voient ainsi jugées pour ne pas avoir été une «bonne mère» par le passé et le sont encore aujourd’hui car elles ont choisi de soutenir cet enfant incarcéré en dépit de l’acte commis.