La Mad Pride devient un événement national

Alfred Künzler décrit la première Mad Pride de Suisse organisée en octobre 2019 à Genève comme une foule colorée, vivante et positive. Le chef du bureau de coordination du Réseau Santé Psychique Suisse, qui se mobilise en faveur de la santé mentale au niveau fédéral, s’y est rendu en tant que participant. Il a été d’emblée séduit par le caractère joyeux et festif du défilé. L’édition de Genève visait à transmettre un message positif, reflété par son slogan « Soyons nous, soyons fous ! », qui apportait une touche humoristique.
La célébration de la différence par rapport à la norme n’est pas un phénomène nouveau. La Mad Pride de Genève était toutefois une nouveauté pour la Suisse. Pour la première fois, les personnes atteintes de troubles psychiques ont défilé à travers une ville aux côtés de leurs proches, de professionnels et de sympathisants, et ont eu une visibilité dans l’espace public. « Il régnait une ambiance de renouveau à la Mad Pride de Genève, par laquelle je me suis laissé gagner », déclare Alfred Künzler.
Les participant-e-s ont fait savoir qu’ils faisaient partie de cette société et qu’ils souhaitaient pouvoir et avoir le droit d’être comme ils sont. L’effervescence a gagné les passant-e-s : «Nous nous sommes adressés directement à eux et leur avons distribué des flyers. Ils se sont montrés très réceptifs, ouverts à la discussion et attentifs, et ont pris le temps de s’arrêter. J’ai vu de très nombreuses réactions amicales, ouvertes et bienveillantes. »
Ces réactions ont fasciné Alfred Künzler. Elles ont prouvé une grande ouverture au dialogue de la population sur les questions relevant de la santé psychique et des troubles associés. L’engagement de ce dialogue est à mettre au crédit des organisatrices et organisateurs de la Mad Pride, à savoir l’association spécialisée romande Coraasp et la fondation Trajets. « L’esprit positif qui anime les concepteurs et organisateurs de la manifestation était perceptible et a pu être transmis au plus grand nombre », déclare Alfred Künzler.
Genève a inspiré d’autres Mad Prides
L’expérience marquante et émouvante de Genève a encouragé Alfred Künzler à faire de la Mad Pride un événement fédéral : « Il serait dommage que seule la Suisse romande puisse profiter de la Mad Pride. » En collaboration avec les précurseur-e-s romands, Alfred Künzler crée actuellement une alliance destinée à instaurer la Mad Pride dans les autres régions du pays.
L’association Mad Pride Suisse a pour objectif d’organiser chaque année un défilé dans les différentes régions linguistiques. Ce promoteur de la santé voit dans cette événement d’ampleur un gros potentiel pour communiquer sur les thèmes de la santé psychique auprès du grand public. Selon lui, les maladies psychiques restent taboues et stigmatisées, et les personnes qui en souffrent continuent à inquiéter. Il entend lutter contre ces tendances en instaurant des Mad Prides partout dans le pays. «Les principaux objectifs sont la déstigmatisation et la fin du tabou des maladies psychiques. Je voudrais néanmoins formuler un troisième objectif positif, à savoir la promotion et l’entretien naturels de la santé psychique », déclare Alfred Künzler.
Les préparatifs de la Mad Pride nationale se poursuivent en dépit de la crise du coronavirus. Compte tenu du nombre de participant-e-s (5000 personnes attendues de toute la Suisse), la manifestation a toutefois dû être reportée à deux reprises déjà. Les organisateurs restent cependant optimistes quant à un déroulement du défilé à l’été 2021. « Une marche est prévue dans les rues de Berne, à l’issue de laquelle des artistes de renom doivent faire une performance sur la place Fédérale. Nous espérons qu’ils susciteront suffisamment d’intérêt pour attirer un public nombreux. » Autre point important : la Mad Pride constitue une plateforme pour les personnes concernées. « L’idée est de permettre aux participants de s’exprimer à travers différentes formes d’art, y compris la musique. Plusieurs chanteuses et auteurs-compositeurs seront présents. »
Le Living Museum Wil fera partie de ce collectif d’artistes, dont la mission est de créer une visibilité. Les personnes atteintes de troubles psychiques peuvent s’y réaliser en tant qu’artistes. « L’art jouera un rôle important lors de la Mad Pride nationale, car les personnes souffrant de maladies psychiques sont en quête de modes de vie créatifs et ne souhaitent pas reproduire des schémas courants. »
La diversité doit devenir la norme
Le défilé de Genève a transmis le message de la valeur de la diversité sociale. Dans une société qui vivrait de la différence et dans laquelle les malades psychiques seraient reconnu-e-s comme des citoyen-ne-s à part entière, la diversité des états psychiques serait la norme.
C’est pourquoi la Mad Pride célèbre la richesse de la différence par rapport à la norme : le défilé permet aux participant-e-s d’exprimer leur fierté de la diversité sociale, qui se traduit par différents projets et différentes perceptions du monde. Dans une société qui fait la part belle à la diversité, les malades psychiques ont la possibilité non seulement de s’intégrer, mais de se sentir au même niveau que les autres membres de la société, dans le sens d’une réelle inclusion.
La vision d’Alfred Künzler se résume ainsi : faire en sorte que l’entretien conscient du psychisme dans le cadre de la promotion et de la prévention de la santé devienne un acte aussi naturel que se laver les dents. Il pense la voir concrétisée en 2040. L’association Mad Pride Suisse n’aura alors plus de raison d’être et pourra être dissoute – car la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques n’existera plus ou parce que la Mad Pride sera devenue une fête populaire véhiculant des valeurs auxquelles une majorité de la population pourra s’identifier.
« C’est une sorte de coming out. »
Une seconde édition de la Mad Pride se tiendra à Berne en 2021. Quels sont les buts de ce défilé initié à Genève en 2019?
Ce concept né dans les années 90 à Toronto est inspiré de la Gay Pride. On reprend l’idée des étiquettes qui collent à la peau de certaines franges de la population et on les détourne pour réduire la stigmatisation et le tabou sur la maladie psychique. L’idée est de montrer l’importance de la santé psychique et de dire que même si l’on souffre d’une maladie, on a le droit à sa place dans la société malgré nos différences. Même si beaucoup a déjà été entrepris, il reste encore énormément à faire car de nombreuses personnes restent isolées et mises de côté en raison de leurs maladies. Elles doivent pouvoir vivre pleinement et ne pas avoir honte de leur situation.
N’était-ce pas provocateur d’utiliser ce terme de fou considéré comme péjoratif?
Pour la première édition, organisée par la Coraasp et la fondation Trajets à Genève, il y a eu des discussions parmi nos associations et nos membres, justement sur ce choix. Certains partageaient cet avis que le terme était négatif et connoté d’une vision passéiste de la folie. Ce débat a été intéressant et nous souhaitions justement l’engendrer. Il faut parler de la maladie psychique et des termes utilisés pour l’évoquer. Notre slogan était « Soyons fous, soyons nous ». C’est une provocation mais avec le souhait de normaliser ces termes. On joue avec ces mots en disant : « Je suis fou et alors ? » Nous luttons contre l’autostigmatisation des malades.
Quel bilan tirez-vous de la Mad Pride?
Elle a généré un bel enthousiasme. Pour les personnes concernées, ce n’était pas anodin de défiler. C’est une sorte de coming out. Mais l’avantage du défilé repose sur le fait que l’on ne sait pas qui est un proche, un sympathisant ou une personne qui a un trouble psychique. Nous sommes satisfaits car l’édition a suscité de l’intérêt dans tout le pays. Grâce à ce mouvement, l’idée est née de pérenniser la Mad Pride et une association a été créée dans ce sens.
Stéphanie Romanens-Pythoud, coresponsable de l’organisation de la Mad Pride 2019 et responsable communication de la Coraasp.
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