La méditation pour réduire le stress

Liudmila Gamaiunova, Pierre-Yves Brandt et Pierre Gallaz
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Les pratiques méditatives se montrent efficaces dans la gestion du stress. Vu leur diversité, il est utile de réfléchir à la place qu’occupe la spiritualité dans ces approches.nr

La méditation, ou plutôt les méditations sont présentes dans de nombreux systèmes religieux ou spirituels. Leur forme varie selon les engagements respectifs du corps, des aspects cognitifs et affectifs, du cadre de la pratique et des objectifs déclarés. Un élément unifie pourtant des approches aussi diverses que la danse méditative soufie dans l’islam ou la répétition cyclique du nom de Jésus dans l’hésychasme (pratique de l’Église orthodoxe). Il s’agit de l’ancrage dans une tradition religieuse ou spirituelle. Ces traditions fournissent un système de croyances et de valeurs, avec son code de comportement dont les pratiques méditatives ne constituent qu’un élément. Ce sont ces systèmes traditionnels qui définissent pourquoi et comment les approches méditatives sont pratiquées. Dans cette perspective, le phénomène de mindfulness (méditation de pleine conscience) en Occident constitue une exception curieuse. Le terme mindfulness trouve une filiation dans les textes sacrés bouddhistes, tels que le Satipatthana Sutta, un discours de Gautama Bouddha décrivant l’établissement de la conscience vigilante. La pleine conscience (sati) constitue un élément du noble sentier octuple, la voie qui mène à la cessation de la douleur et à la délivrance présentée dans la doctrine bouddhiste. Ce terme a migré dans le domaine psychomédical avec la conception par Jon Kabat-Zinn, un biologiste américain, d’un programme de réduction du stress basé sur la pleine conscience (MBSR en anglais), qu’il a enseigné au centre médical de l’Université du Massachusetts dans les années 1970. Le programme combine des techniques méditatives issues de différentes traditions bouddhistes (zen, soto, rinzai, mahamudra...) Il retire à ces méditations leur bagage culturel et les rassemble sous une forme décontextualisée. Le but de la pratique est altéré : les enjeux psycho-médicaux se substituent aux enjeux spirituels. 

Pratiques enracinées dans le bouddhisme
Depuis cette extension de leur cadre de pratique, la recherche scientifique sur les pratiques méditatives se développe. La réduction du stress est un point important des investigations psychomédicales et leurs résultats sont optimistes : les pratiques méditatives y sont souvent associées à une meilleure gestion du stress. Ces résultats n’apparaissent toutefois que dans les études qui effectuent des mesures subjectives du niveau de stress, en utilisant par exemple des questionnaires. Les recherches adoptant des méthodologies évaluant la réponse physiologique au stress sont encore rares, alors qu’elles permettent une appréciation plus fine de l’effet de la méditation sur le stress. La recherche sur la réponse biologique au stress, débutée par l’endocrinologue Hans Selye au XXe siècle, s’est épanouie grâce aux apports de différentes disciplines et méthodes. La découverte que des stresseurs psychologiques agissent sur le corps de la même façon que des stresseurs physiques a été l’une des étapes marquantes. La peur qu’on éprouve en anticipant une présentation publique peut déclencher une réponse physiologique comparable à la réponse au stress ressentie en fuyant un prédateur. Les signaux de l’environnement externe seront transmis à l’environnement interne par des voies biologiques, telles que l’axe hypothalamique, le nerf vague, le système nerveux sympathique et les vaisseaux lymphatiques méningés. Très souvent, la réponse est excessive, car les demandes métaboliques pour accomplir une tâche sont inférieures aux ressources mobilisées. Le résultat est délétère : la réactivité biologique, surtout suivie d’une activation physiologique prolongée, est liée à un nombre important de troubles somatiques et mentaux.

Diminuer l’impact du stress
Est-ce que les pratiques méditatives sont associées à une diminution de la réponse biologique au stress et, si oui, au travers de quels mécanismes psychologiques ? La question a été abordée dans notre étude menée aux Universités de Lausanne et de Genève. Des méditant-e-s expérimenté-e-s et un groupe contrôle ont pris part à une expérience d’induction du stress psychologique en laboratoire. Les participant-e-s passaient un entretien d’embauche suivi d’une tâche arithmétique, devant une caméra, un micro et deux personnes peu encourageantes en blouses blanches. Ce test permet d’évaluer les changements physiologiques associés à un événement psychologique. Plusieurs variables ont été mesurées : la salive pour observer les changements du taux de cortisol produit par les glandes surrénales en réponse au stress, mais aussi la variabilité de la fréquence cardiaque. 
Les résultats ont montré que les méditant-e-s bénéficient d’une récupération du stress plus adaptée que les sujets contrôles. Leur niveau de cortisol diminue plus rapidement, contribuant à réduire les conséquences du stress. Les méditant-e-s ont montré des niveaux plus élevés d’estime de soi et moins de honte liée à leur performance au test. En comparaison avec les sujets contrôles, ils et elles ont employé des méthodes de régulation émotionnelle adaptative, comme l’acceptation ou la réévaluation cognitive, qui permettent d’accepter un événement ou de trouver une interprétation alternative du vécu, diminuant son impact stressant. L’amélioration de la réponse biologique au stress a été observée suite aux interventions basées sur des pratiques méditatives, suggérant qu’une courte exposition à ces approches pourrait être bénéfique. Mais comme l’atteste une méta-analyse, réalisée par Melissa Morton et ses collègues à l’Université de Syracuse aux États-Unis, les résultats des interventions courtes sont moins robustes et il faut tenir compte de facteurs comme le type de technique utilisé. 


Une dimension spirituelle
Est-ce que ces pratiques décontextualisées de méditation gardent une dimension spirituelle ? Peut-on mesurer une différence d’efficacité par rapport aux pratiques traditionnelles ? Le premier point à considérer est le cadre de la pratique. Des investigations scientifiques ont été menées sur des pratiques méditatives enseignées dans un cadre traditionnel, dans des retraites bouddhistes ou des centres de méditation. Le langage utilisé en donnant les instructions et l’ambiance du lieu peuvent renvoyer à des références spirituelles ou donner lieu à des expériences mystiques, même en l’absence d’intention de la part de l’enseignant-e. La question ne se simplifie pas pour les interventions cliniques comme la MBSR. Candy Gunther Brown, professeure de science des religions à l’Université de l’Indiana aux États-Unis, explore la séparation entre mindfulness laïque et spiritualité. Elle conclut qu’une séparation nette n’est pas possible : des idées métaphysiques, signes externes de religion ou de spiritualité, sont facilement identifiables dans ces interventions laïques. Un aspect non négligeable est le changement de niveau de spiritualité des participant-e-s de la MBSR. Les études citées par l’auteure de l’article suggèrent que la participation à la MBSR intensifie les expériences spirituelles, augmente le lien avec le transcendant ou stimule le sentiment de connexion avec le monde. Si la spiritualité est présente dans des pratiques méditatives, rend-elle la pratique plus efficace pour gérer le stress ? Les recherches en psychologie de la religion le suggèrent. Premièrement, un système spirituel ou religieux offre un cadre d’interprétation des événements, ou un schéma cognitif, qui permet d’altérer des évaluations primaires et de diminuer la réponse au stress. La philosophie bouddhiste, focalisée sur la question de l’origine de la souffrance psychologique, se met au service de ce changement cognitif. 

Deuxièmement, le cadre spirituel ou religieux nourrit les émotions positives en lien avec le sacré ou le transcendant. Selon la théorie d’une professeure américaine à l’Université de Caroline du Nord, Barbara Fredrickson, les émotions positives permettent de construire des ressources personnelles. Ce mécanisme psychologique est utile dans la gestion du stress. Cultiver des états positifs comme la compassion et la bienveillance fait partie de la pratique des écoles de bouddhisme. Elle est aussi enseignée dans des centres de méditation laïques. Finalement, certains systèmes spirituels encouragent des changements comportementaux. Dans le bouddhisme, sila (bonne conduite) inclut la pratique de la parole juste (ne pas mentir), de l’action juste (ne pas voler) et le juste mode de vie (une activité économique qui ne nuit pas). Ces changements de comportement visant à renforcer les connexions interpersonnelles en diminuant les conflits sont des facteurs majeurs dans la réduction du stress. Au niveau empirique, ces théories ont été abordées dans une autre étude à l’Université de Lausanne et à l’Université de Genève, réalisée dans le cadre du projet explorant la relation entre des pratiques contemplatives et la réponse psychobiologique au stress. Nous avons évalué les effets de deux formes de méditation sur la réponse au stress : la MBSR standard et la MBSR avec un module basé sur la philosophie bouddhiste. Nos premiers résultats indiquent que même si les deux programmes ont été associés à une meilleure gestion du stress au niveau cardiovasculaire, le programme avec un module supplémentaire s’est montré un peu plus efficace. 


Les résultats préliminaires des études suggèrent que diverses formes de méditation, surtout pratiquées sur le long terme, sont associées à la réduction du stress, et ce également sur le plan physiologique. Au vu de l’origine religieuse ou spirituelle de ces pratiques, il ne semble pas possible de les dissocier complètement des systèmes de références associés à leurs traditions d’origine. Ce surplus spirituel présent explicitement ou implicitement dans les méditations pratiquées dans différents contextes est, en soi, une source potentielle considérable de résilience face au stress psychologique. 

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