Le blog de Psychoscope – La crise climatique du point de vue de la psychanalyse (partie 3): le complexe du dinosaure
Keywords: crise climatique, autodestruction, mécanisme psychiques destructeurs, recherche interdisciplinaire, psychanalyse
Au cours de huit chapitres, Joachim Küchenhoff initie le lecteur à l’«Essai sur la difficulté de dire ‚non‘» (1981) de Klaus Heinrich, philosophe de la «critique immanente». Pour résumer, il retient de ce dernier la notion suivante: «En thérapie comme en politique, pour fuir la menace de ne pas pouvoir s’exprimer, on cherche refuge dans un silence éloquent. On se réfugie alors précisément dans ce que l’on voulait fuir. Mais cette attitude est autodestructrice» (116-117).
Concrètement, cela signifie que je peux «me défendre contre l’aliénation subie dans la société capitaliste, celle qui me pousse sans cesse à acheter, à acquérir de nouveaux biens et à me faire plaisir, en m’étourdissant par encore plus de consommation, ce qui est une attitude vouée à l’échec. Je peux aussi me tourner vers l’ascétisme. Mais le fait de «remplir d’un côté tout en vidant de l’autre (...) n’est qu’une tentative du moi déçu pour se préserver de cette déception. Si l’on veut stopper l’autodestruction, il faut d’abord reconnaître que la personne qui s’autodétruit est à la fois coupable et victime» (Heinrich, 1981, 45).

Selon Klaus Heinrich (147), tous les mouvements d’autodestruction naissent d’une spirale qu’il qualifie d’«envie de la personne dépendante» au «bord de l’abîme de l’être». Se référant à Freud, Joachim Küchenhoff écrit à propos de l’addiction: «Dans l’addiction, tout se répète pour arriver finalement, à travers la satisfaction, à un néant qui est lié à un repos définitif mais qui, de ce fait, mène inévitablement à la mort» (119). En tant que psychanalyste, il est cependant convaincu que «dans le cheminement qui conduit à interpréter la souffrance comme un «non», on peut aboutir à un «non» productif, sorte de protestation ou de témoignage. C’est ainsi qu’il est possible de percevoir, mettre en langage et transmettre à la pensée non seulement la misère névrotique mais aussi le malheur banal. «Le travail de traduction doit précisément faire ressortir cette protestation» (Küchenhoff, 120) afin que nous puissions «reconnaître la catastrophe» (Küchenhoff chap. 3, 120-121) et agir contre «les dragons de l’inaction» (Van Bronswijk et al 2011).
Joachim Küchenhoff analyse la diversité des stratégies mises en place par les scientifiques et d’autres acteurs pour lutter contre le changement climatique et se demande: «Qu’est-ce que la psychanalyse peut apporter de plus?» (124). Face à la menace de la destruction de la vie, il découvre dans la «spirale mortelle du déni» de notre autodestruction (123) une dynamique de conflit psychique inconsciente qu’il appelle le complexe du dinosaure:
Le terme «anthropocène», qui n’est apparu qu’à l’époque de la crise climatique, fait déjà référence à l’ère humaine et à sa fin anticipée. Il renvoie à une forme rationnellement niée de peur planétaire pour notre vie actuelle. Cette peur inconsciente et psychiquement refoulée n’est toutefois pas à notre disposition pour résoudre les problèmes de manière responsable.
Joachim Küchenhoff résume: «Le complexe du dinosaure parle de déclin et de résurrection. Mais ce faisant, il laisse entendre que nous pouvons échapper à la mort, c’est-à-dire également à la mort de l’humanité» (128) alors même que nous nous détruisons et que nous anéantissons la planète. Le changement climatique est alors une «forme d’autodestruction..., qui se matérialise par une spirale dont il est difficile de s’extraire» (130), comme dans les maladies autodestructrices de l’addiction qui nient le déplaisir.
La recherche sur le suicide (Campell et al, 2017, Weintrobe 2022) met en évidence un paradoxe: dans le suicide, la réalité de la mort est niée. La destruction de l’environnement et la crise climatique en tant qu’autodestruction entraînent cependant l’anéantissement de la prochaine génération. L’état psychique correspondant est qualifié de «narcissisme absolu» (Blumenberg 1986), comme dans la pensée d’Hitler: «Si le Troisième Reich s’éteint, alors le reste du monde peut tout aussi bien disparaître en même temps» (129).
Pourtant, notre autodestruction actuelle est un «danger universel»: elle exige une «réponse universelle» (Heinrich, 1981, 155). Joachim Küchenhoff nous invite à déterminer de quelle manière nous nous rendons coupables – tel le roi Œdipe de la mythologie grecque et du complexe d’Œdipe en psychanalyse – de la destruction de ce qui nous donne la vie. Réponse : en nous accrochant à un système économique qui exploite de façon toujours plus violente et impitoyable, et dans lequel l’individualisme met en péril toute forme de solidarité. En effet, le changement climatique fait ressortir les inégalités mondiales qui prédominent sur notre planète (Orange 2017). Une situation à laquelle nous devons toutes et tous dire «non».
Et pour «y apporter une contribution, la pensée psychanalytique est indispensable» (131, conclusion de Küchenhoff).
Joachim Küchenhoff
Joachim Küchenhoff, prof. dr. méd., médecin spécialiste en psychiatrie et en médecine psychosomatique et psychothérapie, psychanalyste (DPV, SSPsa, IPA) exerçant à titre libéral à Binningen/Bâle, a été directeur du centre de psychatrie pour adultes de Bâle-Campagne (Erwachsenenpsychiatrie Basel-Land). Il est en outre professeur émérite de l’Université de Bâle et professeur invité de l’Université psychanalytique internationale de Berlin (IPU).
Joachim Küchenhoff travaille principalement sur le traitement de troubles mentaux graves, les possibilités et les limites de la représentation psychique, l’image corporelle et la psychosomatique ainsi que la recherche interdisciplinaire en sciences culturelles, littérature, philosophie et psychanalyse.
Littérature
Bauriedl-Schmidt, Ch., Fellner, M., Hörtner, K, & Schelhas, I. (2023). Jahrbuch für klinische und interdisziplinäre Psychoanalyse. Band 1. Frankfurt a.M.: Brandes & Apsel.
Blumenberg, H. (1986). Lebenszeit und Weltzeit. Frankfurt a.M.: Suhrkamp.
Campbell, D., & Hale, R. (2017). Working in the Dark. Understanding the presuicide state fo mind. London: Routledge.
Dohm, L., Peter, F., & van Bronswijk, K (2011). Climate Action – Psychologie der Klimakrise. Giessen: Psychosozial .
Heinrich, K. (1981). Versuch über die Schwierigkeit, nein zu sagen. Basel/Frankfurt a.M.: Stroemfeld/Roter Stern.
Küchenhoff, J. (2023). Klimawandel: Psychoanalytischer Versuch über die Schwierigkeit, „nein“ zu sagen zur Zerstörung der Zukunft unserer Kinder. Jahrbuch für Klinische und Interdisziplinäre Psychoanalyse, Bd 1, 115-132.
Küchenhoff, J. (2022). Vom Dinglichen und vom Grundsätzlichen. Psychoanalytische Gedanken zu existenziellen, gesellschaftspolitischen und erkenntnistheoretischen Fragen. Giessen: Psychosozial.
Orange, D. (2017). Climate Crisis, psychoanalysis and radical ethics. London: Routledge.
Van Bronswijk, K., Komm, J., & Zobel I. (2011). Die Evolution der Drachen der Untätigkeit. In: Dohm L., Peter F., & van Bronswijk K. (Hrsg), Climate Action – Psychologie der Klimakrise, 105-140. Giessen: Psychosozial,
Weintrobe, S. (2022). Aufklärung im Angesicht der Katastrophe – Liebe und ihr Überleben in unerträglichen Zeiten. Vortrag Frankfurt a.M, 7.5.2022
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