«Le corps est un miroir de la psyché»

Le chant des merles m’accompagne jusqu’au numéro 13 du chemin de la Musardière, à Tolochenaz, dans la campagne vaudoise. Les passants me saluent sous le soleil matinal. La plaquette indiquant «Centre de sexologie et couple de la Côte» me confirme que je suis au bon endroit.
Une poignée de main et un regard francs suffisent pour ressentir toute l’énergie et la bienveillance de Laurence Dispaux. Elle est l’une de ces personnes qui vous mettent à l’aise en un instant. Et c’est tant mieux, car on vient la voir pour parler d’un des sujets les plus intimes qu’il soit: sa sexualité. Pourtant, selon les dires de la psychologue, la gêne ne s’immisce que rarement dans la pièce. «Souvent, les clients préparent leur première séance.
Ils savent ce qu’ils ont envie de mettre sur la table en venant me voir. On tourne rarement autour du pot» Le fait que leur interlocutrice parle de sexualité très naturellement et librement facilite certainement la démarche. «En cas de blocage, j’aime rappeler la liste d’attente pour obtenir un rendez-vous. Il est important que la personne comprenne qu’elle n’est pas seule dans cette situation.»
Une demande en hausse
De loin pas seule, même. La psychologue se souvient qu’à ses débuts, ils n’étaient que trois ou quatre sexologues dans la région lausannoise. En dix ans, des cabinets ont éclos un peu partout en Suisse romande. Et la clientèle répond présente. Aujourd’hui, les couples thématisent plus rapidement la difficulté sexuelle et la possibilité de se faire aider. «De nombreux couples consultent en raison d’un décalage, qui se révèle difficile à vivre pour l’un ou l’autre partenaire, ou les deux. La souffrance engendrée déclenche alors la prise de rendez-vous. D’autres sont poussés par un problème spécifique, tel qu’un trouble érectile, une éjaculation précoce, une anorgasmie, des douleurs ou une impossibilité d’avoir des rapports sexuels.»
S’y ajoutent celles et ceux qui viennent la voir sans être en couple car, justement, ils n’osent pas aller à la rencontre de l’autre. Et, finalement, il y a les personnes motivées par l’accomplissement de prouesses sous la couette. « J’observe une énorme angoisse de performance. Il y a encore beaucoup d’idéalisation et de fausses croyances autour de la sexualité parfaite. Plusieurs fois, il a été nécessaire de reformuler un objectif plus réaliste. » Sa clientèle comprend autant d’hommes que de femmes. Un constat qui vaut la peine d’être souligné lorsque l’on sait, par exemple, que la gent féminine constitue la majorité de la patientèle des consultations psychothérapeutiques.
Décoder les messages
Jouer cartes sur table, oui, mais pas n’importe quelles cartes. Alors que les clients n’ont généralement pas de peine à parler des aspects mécaniques qui leur causent des ennuis, accepter et explorer leurs émotions s’avère plus ardu. Souvent, la sexologue doit creuser pour découvrir ce qui se cache derrière les confessions qu’elle recueille. Un «J’ai des difficultés érectiles» peut par exemple cacher des enjeux autour de l’attachement.
«Le cœur de notre métier repose sur le décodage des sensations et des émotions. Nous, les sexologues, travaillons aussi sur les aspects mécaniques. Mais souvent, c’est le travail sur les émotions – notre capacité à les vivre et à les exprimer – qui permet un meilleur vécu», précise Laurence Dispaux. «Selon les cas, nous collaborons par ailleurs avec des gynécologues, urologues ou ostéopathes spécialisés, qui peuvent notamment proposer des exercices de relaxation du périnée.»
Se donner les moyens d’explorer
Parmi les différents outils de travail, elle privilégie l’approche du sexocorporel. « On part du principe que le corps est un miroir de la psyché. Une personne marche, respire, bouge et vit son corps en fonction de ce qui se passe dans son appareil psychique. Et vice-versa », explique la sexologue. Travailler sur le corps a des répercussions sur le psychisme. «Certaines personnes qui consultent ont un mode d’excitation assez rigide; une sorte de rail dans lequel elles se sont glissées et duquel elles peinent à sortir. Si ce modèle n’est pas applicable à la relation avec leur conjoint, je vais les aider à l’assouplir, à changer leur manière de se représenter le protocole sexuel.»
Il s’agit par exemple d’amener une personne vivant une fantasmatique tonique et vive sur une voie plus douce et voluptueuse. En vivant ses émotions dans un corps plus souple et ouvert, celles-ci se laissent mieux moduler. À l’inverse, un corps contracté et verrouillé risque de se faire envahir par les émotions qu’il rencontre. L’approche du sexocorporel, notamment, vise à harmoniser ce lien entre fonctions cognitives et corporelles.
Les exercices corporels consistent à expérimenter hors jugement. Pour y parvenir, les patientes et les patients de Laurence Dispaux doivent parfois négocier avec leur propre cognition. À l’instar de certaines femmes qui confient à la sexologue ne pas pouvoir porter de talons, estimant que cela ne correspond pas à leur personne, alors qu’elles les associent à une féminité qu’elles aimeraient s’approprier. Elle leur conseille d’observer leurs sensations et leurs pensées dans différents contextes ; d’essayer, tout simplement, et de découvrir leur propre féminité. «Il y a toujours de nouvelles facettes de nous-même à explorer.»
Une jeune femme souffrant d’anorgasmie a osé se lancer. Lors d’un exercice de pleine conscience avec la sexologue, elle lui avoue son malaise au moment de se concentrer sur les sensations ressenties au niveau du bassin. «C’est mal, on ne devrait pas trop penser à cette partie du corps », laisse-t-elle échapper. Thérapeute et patiente effectuent ensuite une série d’exercices de démarche, exécutant tour à tour rotations, déhanchés et bascules avec leur bassin. Lors de leur entrevue suivante, sa cliente lui raconte l’expérience vécue quelques jours plus tôt: elle a dansé pour la première fois en se sentant habiter son corps. «Je me suis sentie femme. Libre. Et pas vulgaire.»
Réussir à travailler sur sa sexualité tout en restant soi-même est primordial. « Il s’agit d’explorer une nouvelle partie de nous-même, bien qu’elle ait toujours fait partie de nous. L’être sexué que l’on est constitue aussi une part de qui l’on est. »
Un pilier central
Laurence Dispaux a choisi d’exercer ce métier parce que, selon elle, en touchant à la sexualité, on travaille toutes les composantes d’une personne. C’est une porte d’entrée par laquelle tout peut être changé. «Un de mes formateurs disait que si la vie était symbolisée par une pile d’assiettes, l’assiette de base incarnerait la sexualité. Si elle est stable et solide, la personne peut mieux se faire confiance. En agissant sur sa sexualité, on peut toucher toutes les dimensions de sa vie.»
Et c’est pourtant le hasard qui a amené cette «passionnée du couple» à exercer ce métier. «Si je suis psychologue aujourd’hui, c’est entre autres grâce à une erreur dans la programmation de mes horaires de cours, lorsque j’étais gymnasienne. Je me suis retrouvée, sans vraiment le vouloir, dans un cours avancé de psychologie. C’était captivant.» Elle enchaîne ensuite différents stages. «Alors que je n’avais que 22 ans, je me suis retrouvée face à des couples, à discuter avec eux de leur sexualité. Je n’avais aucune expérience.»
Elle décide alors de suivre une formation spécialisée en sexologie à Lyon, à défaut d’équivalent en Suisse à l’époque. En parallèle, elle approfondit ses connaissances en systémique, car l’aspect relationnel est inhérent au travail sexologique, puis se forme en sexoanalyse. Elle ne cesse d’apprendre et de se familiariser à différentes approches. Selon elle, c’est primordial afin de répondre au mieux aux besoins de chacun. «Il faut se donner le temps et la possibilité d’apprendre et de réapprendre», conclut-elle. Y compris en matière de sexualité. « Presque rien n’y est naturel ou spontané.»
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