Quand économie rime avec psychologie

Rebekka Haefeli
Pratique professionnelle
Portraits
Christian Fichter analyse les processus psychologiques qui entrent en jeu dans le monde économique.

Vendredi matin, neuf heures, Haute école spécialisée Kalaidos, Zurich Oerlikon. Christian Fichter vient nous chercher à l’accueil. D’un abord dynamique et enjoué, le psychologue paraît décontracté : vêtu d’un jean et d’un t-shirt, il arbore aux pieds des baskets à la mode.

« Je me le permets même pendant les cours », plaisante-t-il en nous conduisant dans son bureau : une étagère, un bureau sous la fenêtre, un canapé le long du mur. « Quand ils voient le canapé, certains pensent que des managers viennent ici en consultation », déclare-t-il. En tout cas, impossible de l’imaginer en train de s’y reposer. L’homme parle sans s’arrêter, passe d’un sujet à l’autre, les mots jaillissent. Les étudiant-e-s qui suivent ses cours ne doivent pas s’ennuyer.

Christian Fichter a de nombreuses sources d’inspiration – c’est l’une des raisons pour lesquelles il est devenu psychologue. Au tout début de l’entretien, il mentionne : « Dans ma jeunesse, j’ai même été membre d’un boys band. » Un souvenir immédiatement écarté : « Mais là n’est pas le sujet. » Après avoir entamé des études d’histoire et de philosophie, il avait finalement opté pour la psychologie. « J’aime aller en profondeur, mais aussi élargir mon horizon. » En psychologie économique, il faut manifester toutes sortes d’intérêts. Ici, facteurs intangibles et concrets se mêlent.

« L’économie et la psychologie ne sont pas contradictoires», affirme Christian Fichter. Il trouve passionnant lorsque sobriété, calcul et raison se heurtent aux sentiments. Les facteurs psychologiques qui déterminent la réussite ou l’échec le fascinent. Il veut savoir comment les émotions influent sur les décisions quotidiennes des consommateurs. Comment développe-t-on la confiance ? Qu’est-ce qui la détruit ? Quel rôle jouent des traits de caractère comme l’avidité ou la jalousie dans l’économie ?

Des images contre des faits
Les théories peuvent s’échafauder dans un bureau. Mais ce qui intéresse Christian Fichter, c’est d’appuyer sa recherche sur des expériences concrètes. Dès son travail de doctorat, il a travaillé sur les effets d’image. Il a copié un texte du Tages Anzeiger et l’a fait insérer dans le tabloïd Blick et dans le quotidien NZZ. Résultat : dans les pages du journal à sensation, les sujets testés l’ont trouvé mal documenté, populiste, peu fiable, mais facile à lire. Dans celles de la NZZ, ils l’ont jugé fiable et sérieux, mais plutôt difficile à comprendre.

« Ces phénomènes d’image s’observent en permanence dans l’économie. La publicité et le marketing les exploitent constamment. » Christian Fichter analyse les mécanismes sous-jacents. « Je veux savoir pourquoi nous accordons parfois plus d’importance à l’image d’un produit qu’aux faits. » D’un côté, se laisser guider principalement par l’image facilite certaines décisions d’achat : le choix est plus limité. De l’autre, une telle approche peut aussi conduire à se tromper. 

Outre l’image, le design revêt également un intérêt. Le psychologue donne un exemple : « Aujourd’hui, l’aspect des voitures n’est pas dû au hasard. » Une de ses collègues a examiné en quoi le visage d’une voiture – c’est-à-dire son apparence à l’avant avec les phares et le pare-chocs – influe sur la décision d’achat. Selon le public, une voiture doit désormais avoir l’air « conviviale », « agressive » ou « sportive ».

« Je conseille à tout le monde de se frotter au plus grand nombre de sujets possibles. »

Échange important avec les étudiant-e-s
Christian Fichter a une grande conscience professionnelle. « La psychologie est une matière extrêmement utile ; elle devrait être enseignée dès l’école primaire, car elle relie des univers différents. » Selon lui, les consommateurs devraient être informés des mécanismes de l’économie. Jeter un regard critique devrait être obligatoire, car c’est indispensable pour devenir des citoyens et des citoyennes responsables.

C’est pourquoi il apprend à ses étudiant-e-s à se procurer des informations fiables. Les perspectives professionnelles des futur-e-s psychologues économiques sont bonnes. Ils trouvent des postes dans le marketing, la communication ou la protection des consommateurs. Combien d’offres d’emploi Christian Fichter reçoit-il chaque année ? Il avoue être assez sollicité, mais précise avoir trouvé sa vocation à la Haute école spécialisée. Ici, il peut s’épanouir pleinement. Ne cachant pas sa joie, il nous raconte avoir écrit un livre – une introduction à la psychologie économique. Déjà sorti en allemand, il se réjouit de sa prochaine publication en anglais et espère qu’il soit un jour un ouvrage de référence.
 
« Mon parcours est rempli d’heureuses coïncidences », indique Christian Fichter, qui habite dans la région de Zurich. Il a quitté la ville pour s’installer à la campagne, ce qui a nettement ralenti son rythme de vie. Pendant vingt ans, il a été citadin, a étudié à l’Université de Zurich et a fréquenté les milieux étudiants même pendant son temps libre. Ses études, il les a financées grâce à des projets informatiques. 

Informaticien de la première heure
Outre la psychologie, sa matière principale, Christian Fichter a étudié la neurophysiologie et l’informatique. Il repense à cette période en souriant. « À l’époque, la psychologie était dominée par la métaphore selon laquelle la psyché humaine pouvait se concevoir comme un ordinateur : un centre de calcul doté d’une capacité de mémoire et de différents circuits sensoriels. » Christian Fichter dit avoir eu la chance de se trouver au bon endroit au bon moment. Il faisait partie des responsables de projet de l’une des premières boutiques en ligne de Suisse. C’était toutefois bien moins excitant qu’il n’y paraît aujourd’hui. « Avec un collègue, je chargeais des photos de produits sur le serveur. »

L’environnement de l’atelier communautaire était beaucoup plus enrichissant. « En-dessous, il y avait le club culturel kosovar, et à côté le club culturel albanais. » Ce job d’étudiant lui a tout de même procuré une véritable indépendance : il a fondé par la suite sa propre société informatique. 

Christian Fichter, qui s’était bâti un excellent réseau, a alors été recruté par un autre créateur de boutique en ligne. Amusé, il se souvient qu’il était très fier du titre « chef de projet e-commerce » et des cartes de visite. Ses espoirs et ses attentes étaient grands, trop peut-être. Quoi qu’il en soit, il a quitté l’entreprise trois mois avant sa fermeture. Après quoi, son chemin l’a ramené à l’Université et à la psychologie.

Expérimenter de nombreux domaines
Ce qu’il préfère dans son activité actuelle, c’est la variété. « Je conseille à tout le monde de se frotter au plus grand nombre de sujets possibles dans la vie. » Il apprécie notamment les projets de recherche qu’il mène avec son équipe à la Haute école spécialisée Kalaidos. Il s’agit d’enquêtes sur la satisfaction des clients ou des collaborateurs ou encore de tests de produits comme l’analyse de sites web. Le but est, entre autres, d’examiner la lisibilité et la convivialité des fonctions de recherche.

C’est là que Christian Fichter ferme la boucle entre économie, psychologie et informatique. Mais un élément de son quotidien manque encore : le sport, qui lui fournit l’équilibre nécessaire avec son travail cérébral. Né en 1971, Christian Fichter pratique le parapente et le cyclisme. Et ce « boys band » dont il parlait ? C’est du passé. Mais il reste fidèle à la musique. Chez lui, il expérimente avec des synthétiseurs. Un peu comme il le faisait autrefois, quand il était étudiant, avec les premiers ordinateurs.

Ce portrait a été publié dans le livre La psychologie dans toute sa diversité, sorti à l’occasion des 30 ans de la FSP aux éditions Hogrefe.

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