Un cabinet à ciel ouvert

Par Aurélie Deschenaux
Plonger son regard dans celui d’un inconnu, pour ensuite lui confier ses plus profondes pensées : la consultation psychologique peut être intimidante, voire anxiogène. Ajoutons à cela quatre murs, un bloc-notes, des silences redoutés, et certains préféreront renoncer à leur rendez-vous. Une psychologue romande a décidé de faire éclater le cadre traditionnel de la consultation et de proposer une démarche différente. Pour son bien-être et celui de ses clients.
Au moment de choisir son master, Mireille Régis n’hésite pas longtemps : ce sera psychologie clinique et de la santé. Il lui permet de faire le lien entre le corps et l’esprit, dont elle aime analyser l’influence réciproque. Une fois son diplôme en poche, elle commence à travailler en tant que chargée de projet dans le domaine de la prévention. Son temps libre, elle le passe en grande partie à l’extérieur ; souvent avec des baskets de course ou des skis aux pieds. « Enfant, lorsque je rentrais de l’école, nous allions toujours nous promener, avec ma mère et notre chien. J’ai besoin d’être en contact avec la nature, ça fait partie de moi. »
Cette composante n’est pas sans conséquence sur la vie professionnelle de la jeune femme. « Je n’ai jamais réussi à m’imaginer travailler en tant que psychologue dans un cabinet, à enchaîner les rendez-vous durant toute la journée. Les thématiques traitées sont souvent lourdes. S’y ajoute le poids des quatre murs. Pour moi, tout cela a une dimension étouffante. En allant à l’extérieur, c’est tout l’inverse. C’est la liberté. »
Parfois, des amis l’accompagnent dans ses balades sur les hauteurs de Montreux, d’où elle vient. Puis, toujours plus souvent, elle est contactée par des amis d’amis, curieux de découvrir de nouveaux paysages de la Riviera en bonne compagnie. Elle se met à marcher avec des personnes qu’elle ne connaît pas et observe, intéressée, comme les langues se délient aisément. « J’ai constaté que les gens avaient tendance à se confier rapidement en marchant », se souvient-elle.
La jeune diplômée décide d’explorer cette piste de plus près. Après s’être renseignée, elle constate avec étonnement que personne ne propose de consultation psychologique exclusivement à l’extérieur en Suisse. Alors que le concept « Walk & Talk » existe déjà aux États-Unis. Il a vu le jour en raison d’un conflit d’agenda : un psychothérapeute new-yorkais, Clay Cockrell, ne parvenait pas à fixer un rendez-vous avec l’un de ses patients dont l’agenda débordait. Il a finalement rencontré son patient en extérieur, à Central Park. Le résultat de la séance a été si concluant qu’il a décidé de réitérer l’expérience avec d’autres patients.
Il n’en fallait pas plus pour finir de convaincre Mireille Régis. C’est en 2016 qu’elle fonde Walk2Talk, tout en suivant une formation de gestion de projet. Le concept : agrémenter l’accompagnement psychologique d’activité physique légère et dans la nature. À la place d’un cabinet traditionnel, elle reçoit ses clients au bord du lac Léman, dans les vignes de Lavaux ou dans les forêts des hauts de Lausanne. Elle y observe de nombreux avantages. « Le lien thérapeutique est différent : plutôt que d’être en face à face, la psychologue et son client marchent côte à côte. Le groupe avance ensemble vers un objectif commun. Un esprit d’équipe se développe. L’environnement neutre favorise aussi un rapport d’égal à égal entre psychologue et client : la nature n’appartient pas davantage à l’un qu’à l’autre. Et puis, le mouvement physique, la marche, illustre la volonté active de prendre sa vie en main, ainsi que les mesures nécessaires pour affronter les défis qu’elle nous lance. J’ai l’impression qu’on se confie plus facilement dans cet environnement moins formel. L’idée de se regarder les yeux dans les yeux avec son psychologue en paralyse plus d’un. »
Des bienfaits prouvés
D’un point de vue physiologique, consulter en plein air présente des vertus avérées. Il est prouvé que l’air frais réduit le taux de stress et aide à la réflexion. La psychologue se sert souvent du décor environnant pour nourrir la discussion. « Nous ne sommes que peu de chose face à l’immensité de l’univers. En avoir conscience aide à prendre du recul et à relativiser nos difficultés et nos problèmes. Le parallèle entre le cycle de la nature et de la vie aide également beaucoup. On voit les arbres se métamorphoser selon les saisons et renaître à chaque fois. La rivière est un autre exemple auquel j’ai souvent recours. Quoi qui puisse entraver son chemin, elle finit toujours par atteindre son but. »

Un territoire de consultation en expansion
Le succès grandissant que rencontre le concept a encouragé Mireille Régis à développer sa structure et à s’entourer d’une équipe. En parallèle de quoi elle continue d’occuper un poste de salariée à temps partiel, dans le domaine de la gestion de la santé en entreprise.
Actuellement, six psychologues indépendantes venant de différentes régions de Suisse romande proposent leurs services en plein air sous le nom de Walk2Talk. Elles exercent dans les régions de Lausanne, Morges, Vevey, de la Gruyère et du Gros-de-Vaud. Une fois par mois, elles se retrouvent toutes pour un débriefing commun de leurs séances et échanger.
Mireille Régis voit cette expansion comme une mission qui lui est confiée. Pour elle, il est de son devoir de mettre en place la structure nécessaire pour les personnes qui recherchent un accompagnement. « Je ne pense pas être en concurrence directe avec les psychologues exerçant en cabinet. La grande majorité de nos clients n’a jamais consulté un professionnel en cabinet. Il s’agit de personnes à qui cela faisait peur, ou qui n’en avaient tout simplement pas envie. On leur propose une alternative », explique la jeune entrepreneuse. À l’instar de cet adolescent, qui déclinait systématiquement les invitations de ses parents à se rendre chez un psychologue. « Lorsqu’ils lui ont proposé d’aller marcher en forêt avec moi, il a accepté. » La démarche mérite selon la psychologue d’être encore mieux connue des professionnels de la santé, qui pourraient par exemple encourager leurs patients à participer à une « séance de nature ».
Une clientèle hétérogène
Les thématiques discutées sont vastes et touchent principalement au monde du travail, à la gestion des émotions et du stress, aux relations ou aux changements induits par les différentes phases de vie. Le client-type de Walk2Talk ? Il n’y en a pas vraiment. Hommes et femmes, campagnards et citadins, jeunes et moins jeunes y trouvent satisfaction. Chacun pour ses propres raisons. Parfois, ils viennent à deux ; pour une thérapie de couple, par exemple.
La cheffe d’entreprise laisse une grande liberté à ses clients. Il est possible de fixer un rendez-vous le week-end ou en soirée. « Une psychologue de notre équipe a même organisé une consultation de nuit avec l’un de ses clients. Ils se sont engagés sur un sentier au cœur d’un vignoble, chacun avec sa lampe frontale vissée sur le front. » La durée de la consultation dure, au choix, entre 60 et 90 minutes. En revanche, ce sont les psychologues qui définissent les parcours empruntés. Ils les connaissent par cœur, et cela leur permet de se concentrer sur les échanges avec leurs clients, et non sur leur montre ou sur une carte topographique.
Par tous les temps
Une thérapie en plein air est-elle tributaire des aléas de la météo ? « Lors de ma première séance, je me suis retrouvée à tenir un parapluie pendant une heure et demie, pour abriter ma cliente. » Mireille Régis en a tiré une leçon : avant ses consultations, qui ont lieu par tous les temps, elle prévient les personnes de s’habiller de manière appropriée à la météo. « Il n’y a pas de mauvais temps, seulement de mauvais équipements. »
Commentaires
Les commentaires ont pour objectif d’ouvrir un dialogue constructif, ainsi que de favoriser la formation de l’opinion et le débat d’idées. La FSP se réserve le droit de supprimer tous les commentaires qui ne répondent pas à ces objectifs.