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Des pistes pour sortir de l’impasse

31 mai 2023
Andreas Studer
Profession de la psychologie, Psychologie de l'enfant et de l'adolescent, Psychothérapie
31 mai 2023
Andreas Studer
Profession de la psychologie, Psychologie de l'enfant et de l'adolescent, Psychothérapie

Quelles difficultés doit-on surmonter lorsque le père ou la mère de l’enfant à traiter souffre d’un grave trouble psychique? Un exemple tiré de la pratique souligne l’importance d’une position claire du thérapeute.

Toute personne qui travaille en psychothérapie avec des enfants et des adolescents fait régulièrement l’expérience que les parents ont des explications inappropriées voire fausses pour les difficultés vécues par leurs enfants. Parfois, la cause est un trouble psychique du parent. 

Un jour, une mère célibataire m’a contacté. Selon elle, sa fille de 11 ans avait d’importants problèmes de mémoire, était insolente, irrespectueuse et désordonnée, et elle mentait tout le temps. De plus, elle ne faisait pas bien la différence entre le réel et l’imaginaire, avait du mal à être attentive et à se concentrer, ce qui lui créait des problèmes à l’école. Enfin, à chaque fois qu’elle voyait son père, la fillette était totalement perturbée. La mère soupçonnait un TDAH, une démence infantile voire un développement psychotique. Elle mettait en outre en avant une influence négative du père sur l’enfant. Ces déclarations de la mère donnaient plus ou moins explicitement des consignes pour la thérapie: «Faites en sorte que ma fille se comporte bien à la maison, que ses notes s’améliorent, qu’elle ne mente plus autant et qu’elle n’oublie plus ses affaires! Et débrouillez-vous pour que j’aie moins de stress chez moi!». Cela sous-entendait aussi que je devais m’arranger pour que le père n’ait plus de contact avec sa fille. 

Décalage entre le vécu de la mère et celui de la fille

Lorsque j’ai reçu la mère et la fille ensemble pour le premier rendez-vous, une image très différente m’est apparue. En présence de sa mère, la fillette semblait intimidée et craintive. J’ai constaté qu’il n’y avait pas vraiment d’interaction affectueuse entre elles. Dans l’ensemble, j’ai eu l’impression que l’accent n’était pas placé sur les besoins de la fille, mais sur le récit de la mère évoquant à quel point elle souffrait des problèmes de comportement de son enfant. Quand je me suis entretenu en tête à tête avec la fillette, celle-ci a tout de suite fondu en larmes et s’est exprimée de façon étonnamment réfléchie pour son âge. Elle s’est montrée très affectée émotionnellement, a fait part d’une immense tristesse et d’un grand désespoir vis-à-vis de la situation à la maison. Elle a dit ressentir un profond dilemme et avoir l’impression de devoir choisir entre son père et sa mère, ce qui provoquait chez elle une forte tension.

«Quand je me suis entretenu en tête à tête avec la fillette, celle-ci a tout de suite fondu en larmes et s’est exprimée de façon étonnamment réfléchie pour son âge.»

Manifestement, il y avait un décalage entre les symptômes décrits par la mère et ceux présentés par l’enfant dans mon cabinet. C’est pourquoi j’ai pensé dès le premier rendez-vous qu’il devait s’agir d’un problème d’interaction entre la mère et la fille. En effet, les symptômes de cette dernière variaient selon la personne avec laquelle elle se trouvait. 

Peur que la mère se fasse du mal

Dans la suite de la thérapie, nous avons réussi à construire une relation thérapeutique basée sur la confiance. De plus en plus, je me suis rendu compte que la fillette était stressée et émotionnellement en demande. Elle m’a confié subir une pression énorme et craindre que sa mère ne se fasse du mal à cause d’elle. Je n’ai pas observé la présence permanente des symptômes exposés par la mère. Lorsque je lui en ai fait part, celle-ci s’est mise en colère, me reprochant de ne pas la croire et de ne pas la prendre au sérieux. Il était important de confirmer à la mère que l’enfant présentait bien à la maison les particularités psychopathologiques décrites. Mais dans le même temps, je devais lui dire que ces spécificités ne pouvaient pas s’expliquer par les causes qu’elle soupçonnait et que ses hypothèses de diagnostic n’étaient pas justes. La mère n’a pas compris mon propos et a menacé pour la première fois de mettre fin à la thérapie. Je me suis alors retrouvé face à un dilemme. D’un côté, la mère me donnait les «consignes de thérapie» mentionnées précédemment, mais qui n’étaient pas indiquées sous cette forme. De l’autre, un traitement psychothérapeutique était plus que nécessaire du fait de la détresse émotionnelle de la fillette. Il fallait donc définir le véritable objectif de la thérapie. La première étape était de parvenir à une compréhension adéquate du cas, la seconde de traiter le problème d’interaction entre la mère et l’enfant.

L'Auteur
Andreas Studer est psychologue spécialiste en psychothérapie FSP. Il est titulaire d’un diplôme postgrade en psychothérapie cognitivo-comportementale et interpersonnelle délivré par le Klaus-Grawe-Institut. Dans son cabinet à Zurich, il travaille avec des enfants, des adolescents et des familles. 
Andreas Studer - Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP
Andreas Studer
Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP

Les enfants concernés sont souvent très affectés

Comme dans cet exemple, il arrive fréquemment que la mère ou le père de l’enfant ou de l’adolescent à traiter souffre d’un trouble psychique généralement ni diagnostiqué ni pris en charge. Les particularités psychopathologiques des parents peuvent se répercuter directement sur l’enfant. Par ailleurs, les atteintes psychiques constituent un défi pour la collaboration systémique avec les parents. Le trouble de la personnalité borderline, par exemple, est essentiellement un trouble de la régulation émotionnelle et de l’interaction. Ses symptômes ont des conséquences dramatiques sur la capacité du parent concerné à offrir à son enfant des expériences relationnelles appropriées. La transmission de stratégies fonctionnelles de régulation des émotions est également fortement entravée. L’enfant ressent alors de l’insécurité et de la détresse provoquées par le comportement contradictoire et ambivalent ou les changements d’humeur imprévisibles du parent. 

En thérapie, les enfants concernés se révèlent souvent très affectés et émotionnellement en demande. Ils racontent par exemple être dévalorisés et émotionnellement délaissés, parlent de violence physique, de conflits fréquents à la maison et de culpabilité. Mais par peur du parent en question, ils refusent que les parents soient mis au courant. L’instabilité émotionnelle du parent peut en outre déclencher des angoisses et des sentiments de culpabilité dus au fait que ces enfants se sentent responsables de l’état émotionnel de leur père ou de leur mère. 

L’enfant risque de perdre en estime de soi lorsque le parent atteint d’un trouble psychique le dévalorise et fait passer ses propres besoins avant les siens. Il peut en outre acquérir des stratégies inadaptées de régulation des émotions, puisque le parent psychiquement malade lui sert de «modèle». Pour cette même raison, il peut aussi manquer de possibilités pour développer ses compétences socio-émotionnelles. Qui plus est, les conflits de loyauté déclenchés par des messages relationnels négatifs ne sont pas rares. Les influences mentionnées peuvent être associées aussi bien à des troubles internalisés, comme des troubles anxieux et des dépressions, qu’à des troubles externalisés, notamment du comportement social, ainsi qu’à des symptômes similaires à ceux du TDAH.

Comprendre les comportements problématiques de la mère

Le comportement de la mère à l’égard de sa fille et à mon égard a renforcé mes soupçons selon lesquels ses particularités psychopathologiques pouvaient provenir d’un trouble de la personnalité borderline. Dans le cadre du traitement psychothérapeutique de la fille, il était donc essentiel de transmettre un sentiment de sécurité, de stabilité et de structure. La thérapie l’a aidée à comprendre, à catégoriser et à gérer de manière adéquate les spécificités psychopathologiques de sa mère. Nous avons en outre travaillé à la réduction du stress. Pour ce faire, nous avons élaboré des stratégies efficaces de régulation des émotions et avons répété des comportements alternatifs à adopter lors des interactions avec la mère. Le renforcement des ressources a en outre joué un rôle crucial.

Intégration du parent concerné

Dans le cadre du travail sur l’interaction, il était important d’intégrer étroitement la mère au processus thérapeutique. En effet, par moments, celle-ci est parvenue à développer une compréhension adéquate du cas. Malheureusement, elle n’a pas réussi à adapter son comportement de façon stable, ce qui aurait pourtant été nécessaire pour apporter une réponse appropriée aux besoins de sa fille. L’objectif aurait été que la mère réfléchisse à son comportement déclenché par ses propres expériences biographiques négatives, puis qu’elle modifie ces influences négatives sur l’interaction avec sa fille. Mais elle n’a pas cessé d’émettre des hypothèses de diagnostic inappropriées. S’appuyant sur ces allégations, elle s’est en outre forgé sa propre opinion sur le traitement psychothérapeutique de sa fille et a rejeté les interventions conçues dans le cadre du plan de traitement.

«La fin de la thérapie s’est profilée lorsque la fillette, en grande détresse, m’a fait savoir qu’elle ne voulait pas rentrer avec sa mère et qu’elle ne supportait plus la situation à la maison.»

La fin de la thérapie s’est profilée lorsque la fillette, en grande détresse, m’a fait savoir qu’elle ne voulait pas rentrer avec sa mère et qu’elle ne supportait plus la situation à la maison. Elle m’a également confié qu’autrement, elle se ferait du mal à elle-même. Lorsque j’en ai parlé à sa mère, celle-ci a déclaré qu’il s’agissait de «bavardages idiots», ajoutant qu’elle n’avait pas le temps pour «ces histoires» et qu’elle allait mettre définitivement un terme à la thérapie. 

Adopter une position claire

Sur la base de mon évaluation clinique de la situation, j’ai rédigé un rapport de mise en danger du bien-être de l’enfant à l’attention de l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA). J’y ai notamment décrit la situation psychosociale aiguë et chronique de mise en danger, ainsi que les particularités psychopathologiques de la mère et son influence sur la fille. Celle-ci a ensuite été hospitalisée dans un service de pédopsychiatrie.  

Ce retour d’expérience illustre à quel point il est important d’acquérir une bonne compréhension du cas, de clarifier de façon transparente les missions thérapeutiques, ainsi que de formuler explicitement des objectifs thérapeutiques réalistes. Il est également essentiel d’adopter une position claire vis-à-vis d’un comportement néfaste pour la thérapie, par exemple en cas de menace d’interruption de celle-ci. Par ailleurs, l’évaluation clinique du comportement d’interaction perturbé des parents et de ses conséquences sur la santé psychique de l’enfant ou de l’adolescent est primordiale.  

Le cas exposé ici montre aussi les obstacles auxquels on se heurte lorsque de tels enfants et adolescents arrivent en psychothérapie, mais que c’est en fait le père ou la mère souffrant d’un grave trouble psychique qui aurait besoin d’un traitement psychothérapeutique adéquat.

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